Tonton Titi
Fraîchement débarqué dans notre synagogue
Je me sens comme happé, un peu comme sous drogue
Et notre Président, sentant en moi l’aubaine
Me nomme au comité, me flatte et puis m’enchaîne !
Aussitôt embauché, je me vois propulsé
Dans une réunion pour les Communautés,
Qui se passe à Marseille, prévue dans quelques jours.
Je me sens invincible, curieux comme toujours.
Le sort en a voulu, que malgré mon grand âge
Je me sente très jeune, et beaucoup moins que sage.
Prenant ma trottinette, oubliant le verglas
Me sentant invincible, et pourtant … patatras !
Mon humérus cassé, un coup à mon honneur !
Honte à ma fierté. Mon fils, de rire en pleure !
Il me faut décliner, mais notre Président
Sait me persuader, et je pars dans l’instant …
Dans le train, je reçois un message en urgent
Ma cousine Aliza, par texto, m’annonçant
Que l’Azguir de son père, mon oncle bien aimé,
Aura lieu ce dimanche, et donc, on m’attendait !
Je me vois désolé, meurtri dedans mon âme
Hachem avait prévu, un tout autre programme !
Elle dit « ce n’est pas grave ». Inutile que j’en parle.
Enfin nous arrivons en gare de Saint-Charles
Arrivé à l’hôtel, je vais me rafraîchir
Dans ma chambre, tout seul, à penser, réfléchir.
Je me décide enfin, car Shabbat approchait,
A descendre à la Choul. Je prends donc l’escalier.
Quelques marches plus bas, protégeant mon épaule,
Je vois quelqu’un monter, d’une démarche molle.
Il a apparemment un problème aux mollets.
Il me semble en souffrir, mais en reste muet.
Regardant mon épaule, enceinte d’une attelle,
Il se fait souriant, lève les yeux au ciel.
Je lui renvoie le mien. L’espace d’un instant,
Compagnons d’infortune, moi d’un bras, lui, boitant !
Mais si l’on doit d’un mot qualifier ma famille
Je pense que le seul, groupant garçons et filles
Est bien la Distraction dont ces joueuses fées
Nous ont, dès la naissance, toutes et tous affublés.
Une fois descendu, je repense au visage
De l’ami éphémère, en l’ombre du virage.
Il me dit quelque chose, et c’est sûr et certain.
Mais je laisse tomber, car j’ai mal, et j’ai faim !
Une fois avoir fait la visite des lieux
Je me dis qu’il suffit, me rends en l’endroit pieux.
Et mon « pote » est ici, juste devant l’estrade
Qu’on courtise et enceint, à grands coups d’accolades !
Quel abruti je fais ! Je viens de reconnaître
Mon collègue succinct n’est autre que le Maître,
Le Grand Rabbin de France, Monsieur Haïm Korsia
Lui que j’avais croisé. Quelle honte pour moi !
La prière commence, et puis elle se termine.
Le maître de céans, nous faisant bonne mine,
Nous invite à passer, dans la pièce à coté
Afin de « Kiddoucher », puis de nous sustenter.
Nous nous mettons à table. Après quelques instants,
On me touche le bras. Je me tourne et comprends
Que c’est Haim Korsia, qui, venant en personne,
S’enquiert de ma santé. Et j’en deviens aphone
On devise et plaisante, et il me fait savoir,
Ni responsabilités, ni son sens du devoir
Ne lui font oublier, sa plus tendre passion
Le football. Il chérit, plus que tout, le ballon !
Et c’est bien la raison, au grand dam de sa femme,
Qui l’a fait boitiller ; elle en a fait un drame !
Souriant, plaisantant de nos récits futiles
Nous souhaitant courage, d’être moins puérils
Je lui confie enfin, que c’est un pur hasard,
Même en étant flatté, si je suis là ce soir.
L’informant de l’Azguir de mon cher Oncle Herbert
Que je l’avais raté, laissant un goût amer.
Il demande aussitôt que je donne son nom.
C’est Herbert Avraham Bigeard, c’est mon Tonton !
Il aimait plus que tout, qu’on l’appelle Titi
Enfant, il ressemblait tant à Tino Rossi !
Le Grand Rabbin Korsia, dit qu’il va dédier
Ce Grand Shabbat pour lui, et qu’il va le nommer !
Me laissant bouche bée, une fois n’est coutume,
Car pour rester muet, il ne faut être tune !
La Chose dite est due, et la Parole est Grande
Lors c’est le lendemain, que Haim, en offrande,
Fait un Kavod immense entendant de sa bouche
Nommer mon cher Tonton, moi muet, ça me touche !
Je vois les Présidents des cent Communautés
Des Rabbins de Marseille, et bien d’autres contrées,
Mêlant rite et accents, tunisiens ou yiddish
Et enfin pour mon Oncle, entamer le Kaddish.
29 Mai 2019 © Dan Bigeard Cercle Des Poètes Juifs
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