Divan


Le Divan, une expression de son cours d’italien lui revint tout de suite : il gato ha graffiato il divano (le chat a griffé le divan, note du traducteur). Longtemps, elle s’était demandé pourquoi ce chat de malheur s’était montré aussi peste avec ce divan. Enfin, elle était assise sur le divan noir, engoncée dans son manteau en velours, le regard vague. Veiller à sa grand-mère, c’était sa mission et elle l’avait acceptée. Cette chipie lui faisait vaguement penser à la vieille dame de Babar ou à Tati Danièle, une pauvre femme avec son parapluie de toutes les couleurs, haineuse envers tous et toutes et vindicative. Qui hurlait des dimanches entiers, martyrisait son personnel et ne sortait jamais sans un chapelet d’insultes. Bizarre que sa propre mère fut si douce ; les lois de Mendel ne doivent pas porter sur le caractère...
Enfin, elle était malade, quelle drôle d’idée d’aller s’asseoir sur le toit pour manger des figues, à son âge... et d’en tomber.
Tout ça ne valait pas ce canapé rouge où elle était, elle, se sentant Madame Bovary et où ce bel officier avait susurré des vous êtes belle et de ces choses encore plus inavouables... Une soirée des plus romantiques et exquises. Un soupir d’aise lui échappa. Chut, ne pas réveiller cette femme, enfin, sa grand-mère, elle l’oubliait parfois ce lien de sang qui les unissait, c’était aussi sa mission, ne pas réveiller la grand-mère qui dort !
Sans compter ce divan bleu de ce brave docteur qui lui en avait fait baver. Tout dire sur son âme, elle n’entendait que des hum, hum ou des ah bon la poussant à raconter pêle-mêle rêves, associations d’idées pour une somme terrible. Le prix de son désir, élevé, le prix. Il parlait très peu, il la guidait peu, il avait été formé par le maître Lacan. Chapeau bas et bottes de cuir.
Transie de froid, elle voulait atteindre la petite chaise mais ne pouvait pas, une espèce de paralysie, de pudeur, aussi, la retenait.
La dernière fois, elle avait ressenti une espèce de bien-être, de bonheur à rester dans ce divan. Aujourd’hui, elle se sentait mal et pensa que la seule façon d’arrêter de rêvasser était de s’asseoir bien à l’étroit sur cette chaise. Aucun souvenir de chaises ne pouvait lui venir à l’esprit. De cela, elle en était sûre...



3 Octobre 2003
© Anna Castro

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Liste des commentaires (1)


Anne, J'ai trouve ta prose excellente. Bravo!
, le 10 Mai 2006