Une Rencontre, un Destin.


Juin 1962, le rapatriement, pour beaucoup, l’Algérie, dans le cœur, l’incompréhension, la douleur et enfin l’espoir.
En ces jours, où tout se bouscule, certains laissant une vie derrière eux, réussissent à joindre Marseille en avion, quand la plupart se déversent par flots discontinus sur le Vieux Port de la cité méridionale.
Voici le nouvel asile de notre ami Victor, tout frais arrivant d’Oran.

Chapitre I
La découverte, ou comment se reconstruire ?
Voici, le programme de Victor, à son arrivée à Marseille :
Tout d’abord, se rendre chez son oncle, qui depuis quelques années tient une imprimerie dans le quartier du Prado. Puis se restaurer brièvement et enfin découvrir le petit « réduit », qui lui servira de logement un temps qu’il espère le plus court possible.
Enfin, déterminer un avenir professionnel sachant que les autochtones ne lui laisseront que quelques espoirs fragiles de se fondre dans leur vie si bien réglée.
Le Prado, quartier de prédilection des badauds et des touristes en quête de bonnes affaires et de spécialités culinaires provençales ; C’est ici, que nous retrouvons Victor accueilli avec effusions par son oncle imprimeur.
Passé les retrouvailles, une collation servie, notre ami, se dirige vers le petit logement, propriété familiale, où il pourra un temps poser ses bagages et penser à s’organiser pour trouver un emploi le plus lucratif possible. Mais tout d’abord, repos.
Puis, remis de ses émotions, Victor, arpente les rues du quartier, en quête de victuailles tout en s’imprégnant des odeurs et couleurs de cette grande artère marseillaise.
Il y remarque, tendant l’oreille, l’accent chantant des résidents propre à ce chef-lieu provençal.
Le lendemain, frais et dispos, il entame sa recherche d’emploi munis de ses diplômes et fort de son expérience acquise dans plusieurs banques de la région d’Oran.

Peine perdue, il comprend rapidement, que trouver un poste à Marseille ne sera pas simple, pour lui, qui avant le rapatriement avait une carrière toute programmée dans un des plus grands établissements bancaires d’Algérie. Devant cette difficulté, Victor se confie à son oncle, qui finit par lui proposer de l’aider un tant soit peu à faire prospérer son entreprise commerciale. Il commence à intégrer les codes professionnels du métier d’imprimeur, puis élabore une stratégie destinée à faire valoir son originalité.
Dès lors, notre ami Victor s’attelle totalement à sa nouvelle tâche tout en honorant sa mission.
Tout y passe, distribution de tracts, porte à porte…, l’essentiel d’une bonne campagne publicitaire.
En peu de temps, il arrive à persuader et à attirer nombre de clients potentiels. Certains désirant faire imprimer des cartes de visite, d’autres du papier en-tête à l’effigie de leur société ….
Parmi les clients, Victor retrouve plusieurs familles oranaises qu’il a pu côtoyer depuis sa jeunesse. Retrouvailles et émotions rythment souvent ses journées de travail.
Les semaines et les mois filent à la vitesse de l’éclair !
Maintenant l’imprimerie familiale a pris son rythme de croisière.
Il est temps pour Victor de penser à son avenir autant professionnel que personnel. La parenthèse marseillaise, ne va pas tarder à se fermer.

Chapitre II
Un nouvel « exil » vers un bel avenir !
La vingtaine entamée récemment, Victor ne cesse de penser à réussir sur tous les plans, et d’ailleurs pour arriver à ses fins plus facilement, il n’hésite pas à quitter le sud de la France pour se rendre dans la capitale.
Paris, et sa vie trépidante. Le jour, la nuit, on se bouscule dans les métros ; on se tasse sur les terrasses des cafés ; toujours à l’affût d’une séance de cinéma ; voire à la recherche d’un billet, d’une bonne pièce de théâtre de boulevard ou de Music-Hall.
Mais avant d’accéder aux charmes de la vie parisienne, notre jeune ami a d’autres aspirations.
Très vite, le train Gare saint-Charles pour Paris, puis de nouveau s’installer sûrement plus longuement dans un studio loué pour quelques francs à un ami de la famille.
Plus précisément Victor logera dans le quartier du Marais. L’Hôtel de Ville, la rue de Rivoli et bien sûr la rue des Rosiers, imprégnée d’histoire et ô combien typique.
Nous y voilà ! Tout près du Métro St Paul à quelques mètres de la Place de la Bastille, notre ami découvre ces rues et ruelles au lourd passé.
Il apprécie au passage cette ambiance et cette animation si particulières, qui font de ce quartier du Marais, l’un des plus appréciés de la Capitale.
Un détour, pour apprécier les spécialités culinaires, d’Europe de l’Est particulièrement.
A vrai dire, pour Victor, c’est une première. Vivre dans l’une des plus belles villes du monde et découvrir en même temps d’autres us et coutumes, lui, « le Pied Noir », imprégné de cette culture méditerranéenne, si chaleureuse.
Au début, il a du mal avec ces plats issus, le plus souvent de la cuisine polonaise.
Puis, il finit par s’adapter et se réfugie également dans les salons de thé, dans lesquels il redécouvre les goûts et senteurs du Maghreb.
La fatigue prenant le dessus, il retrouve le confort de son nouveau logis, situé rue Ferdinand Duval. Là, il entame une nuit au sommeil réparateur.
Le lendemain, Victor a rendez-vous avec Joseph, son ami parisien.
Tout d’abord, il le remercie et le félicite de l’emplacement privilégié et du confort offert par son nouveau studio. Joseph, l’assure de toute son attention et de sa compréhension vis-à-vis de sa situation pour le moment précaire.
Les deux amis prennent le temps autour d’un verre de partager leur vison de l’actualité. Ils parlent du rapatriement, du passage à Marseille de Victor et des affres de la vie parisienne.
Joseph, quant à lui, a quitté l’Algérie très tôt, dès l’âge de quatre ans.
En effet, ses parents avaient rejoint Tunis, pour reprendre en héritage l’affaire familiale tenue jusqu’alors par son grand-père maternel. C’est à l’occasion d’un voyage découverte que nos deux compères se sont rencontrés dans la capitale tunisienne il y a quelques années.
Aujourd’hui, Joseph marié, vit non loin du quartier du Marais. Il fréquente la Place de la République et ses faubourgs, ses boutiques de prêt à porter et restaurants aux spécialités variées.
Victor s’épanche sur ses projets professionnels et les moyens à sa disposition afin de rechercher et trouver un emploi conforme à ses prétentions. Maintenant, notre ami peut se targuer d’avoir plusieurs « cordes à son arc ». En plus de son expérience bancaire acquise de longue date, il a pu acquérir de bonnes notions dans le domaine de l’imprimerie lors de son passage dans le sud de la France.
Par chance, Joseph, a dans ses connaissances le plus ancien imprimeur de la rue des Rosiers.
De ce pas, ils se dirigent vers la boutique située non loin de son logement.
En rentrant, on y découvre tout un tas de prospectus, imprimés, cartes en tous genres… Sans parler des machines à reprographie et d’imprimerie. Quelques employés s’activent à parfaire leurs travaux.
Maurice, apparaît accueillant mais harassé en cette fin de semaine au cours de laquelle, nombre de clients lui ont mis la pression, afin de finaliser notamment leurs cartes de vœux ou de mariage …
Joseph ne tarde pas à présenter Victor dont il vante les qualités et les compétences acquises en tant qu’imprimeur.
Maurice parait très intéressé par son profil et décide de lui offrir une petite formation complémentaire avec un poste à la clé si tout se passe bien.
Voici nos trois compères satisfaits. Victor débutera lundi matin sous les ordres et conseils de Maurice.
Dès l’ouverture de la boutique, Victor découvre d’autres aspects du métier d’imprimeur-graphiste.
Le voilà formé sur des machines à presse et de reprographie.
Il ne tarde pas à intégrer ces nouveaux codes et termine son apprentissage tout en donnant entière satisfaction à Maurice.
Le s semaines et les mois s’écoulant, Victor évolue rapidement sur son poste de travail et s’assure un bel avenir professionnel.
Sentimentalement, Victor n’a connu que très peu d’aventures.
Il profite de son temps libre pour flâner et se rapprocher de cercles amicaux dans lesquels, sont organisés, sorties ludiques, repas, conférences, …
Ainsi, il fait la connaissance de jeunes issus de divers horizons.
Ils ont en commun de résider tous dans le quartier du Marais.
Ainsi, les années passent mais notre Victor semble toujours hésitant et parfois même réservé lorsqu’il s’agit de faire évoluer une relation qu’il entretiendrait avec une jeune fille. Pourtant, les occasions s’offrent à lui, mais le plus souvent, rien ne se concrétise.
Chapitre III
Au bout du chemin : la lumière ! 1964 !
Victor aime partager ses passions pour le cinéma et les pièces de théâtre ou les spectacles de Music-Hall.
Souvent il parcourt les journaux spécialisés à la recherche des derniers films à l’affiche, ou bien des derniers concerts.
D’ailleurs, un jeune chanteur, pied-noir tout comme lui, fait ses débuts à l’Olympia. Il se précipite afin d’acquérir un billet et se rend sur les Grands Boulevards, pour entendre les premiers succès d’Enrico Macias.
En rentrant dans la salle de spectacle, Victor s’imprègne rapidement de cette chaleur qu’il a laissée de l’autre côté de la Méditerranée. D’ailleurs, c’est l’occasion de faire quelques connaissances ou bien même de retrouver nombre de visages connus.
Puis rapidement au rythme des mélopées du jeune artiste, c’est toute une frange du public qui se laisse emporter par cette ferveur tant recherchée ce soir-là.
Le lendemain, à l’imprimerie, il reçoit la visite de Joseph, désirant de ses nouvelles.
A la pause déjeuner, ils se retrouvent dans petit restaurant de la rue Pavée.
Là, Victor raconte sa soirée à l’Olympia, et les quelques bons moments passés avec ses amis du Marais.
Intrigué, Joseph, attend de Victor qu’il se confie sur une éventuelle aventure amoureuse, en vain.
Le soir venu, Victor ne cesse de se remémorer ce beau concert qu’il n’est pas près d’oublier.
Seul, dans son meublé, il cherche le sommeil. Toutes les chansons d’Enrico lui reviennent.
C’est décidé, à la première occasion, il retournera vivre l’expérience…
L’année d’après le revoilà dans ce temple du Music-Hall, pour voir et écouter son chanteur préféré. Mais cette fois-ci, c’est accompagné de membres de son cercle d’amis de son quartier.
Une fois installé, il se délecte à nouveau de cette ambiance si particulière et se laisse transporter par le répertoire de l’artiste. Tout y passe, musique orientale avec danse des foulards sur scène et dans la salle, puis le final aux tonalités hispaniques.
Pendant ce temps, il n’a pas remarqué la jeune fille assise près de lui. Ce n’est qu’en sortant du concert que leurs regards se croisent…
Chapitre IV
Une belle rencontre ! ou serait-ce le destin … ?
A cette heure tardive, seuls quelques badauds se précipitent dans les transports en commun pour regagner rapidement leur domicile.
Victor, se faufile dans la première rame de métro disponible. Il est rejoint parla jeune personne croisée à la fin du spectacle sur les grands boulevards.
Il ne se doute pas que cette rencontre augure de beaux lendemains.
Après une brève discussion et prise de contact, nos nouveaux amis se promettent de se revoir. Daniella descend à quelques à quelques stations de St Paul, précisément à l’Hôtel de Ville.
Une fois rentré, Victor, parait troublé par cette rencontre. Il finit tout de même par trouver le sommeil.
Le réveil matin faisant son œuvre, et, le petit déjeuner avalé, notre imprimeur maintenant chevronné regagne son poste de travail. Pourtant, en cette belle journée, il ne cesse de penser à Daniella rencontrée la veille.
A sa pause, il déjeune avec quelques amis présents à l’Olympia et tout comme lui fans d’Enrico. Mais cette fois, il lui tarde de finir sa journée de travail afin de contacter sa jolie nouvelle amie…
En cette fin de journée, Victor se dépêche de rentrer.
Dans la foulée, il appelle Daniella pour lui donner rendez-vous quelques heures plus tard non loin de la place de la République.
La faim aidant, nos deux amis se dirigent vers un beau restaurant de spécialités orientales.
Après avoir dégusté une appétissante kémia, ils se délectent d’un couscous royal aux trois viandes. Puis, en guise de dessert, un zabayon, glace à base d’œufs
La discussion tourne souvent autour des goûts musicaux, des voyages…, quand soudain, Victor décrit son ami Joseph, son trait d’union, dans sa vie professionnelle et personnelle.
Daniella se redresse sur sa chaise, elle n’en croit pas ses oreilles !
Ils sont tout simplement en train de parler de son frère …
Arrivée de Tunis un peu après Joseph, elle n’avait semble-t-il jamais entendu parler de Victor. Ils se jaugent d’un regard, tout en comprenant que le destin fait son œuvre.
Surprise, mais curieuse, elle cherche à cerner les liens d’amitié existants entre les deux hommes. Le voyage à Tunis de Victor, puis leurs retrouvailles dernièrement à Paris.
La jeune fille, un peu plus âgée, travaille à mi-temps dans une boutique de prêt à porter dans le quartier du Sentier, et, termine en parallèle ses études pour obtenir un diplôme d’opticienne.
La soirée tire à sa fin. C’est sûr ils se reverront …
Tout en regagnant leurs lieux de résidence respectifs, ils pensent à cette rencontre surprenante.
Dès le lendemain, Victor se confie à Joseph, tout en prenant soin pour l’instant de lui cacher la véritable identité de la personne rencontrée. De son côté, Daniella fait de même avec son frère.
Puis, au fil du temps et des rendez-vous, leur amitié s’efface pour laisser place à des sentiments plus forts.
Victor aime à faire découvrir à sa compagne, les derniers spectacles et les monuments qui font de Paris, l’une des villes les plus attractives villes du monde.
Voilà déjà plusieurs mois que nos deux amoureux se fréquentent. D’ailleurs, c’est à l’occasion d’une rencontre entre amis que la décision fut prise d’informer Joseph de leur relation. Ce dernier, étonné mais heureux, voulut connaître en détails l’histoire qui a débuté à l’Olympia.
Dès lors, la relation évolua jusqu’à les inciter à concrétiser.
Ce qui fut fait dans la foulée.
Chapitre V
Enfin ! Le mariage !
Quel bel événement, ce mariage !
Famille, amis, contribuèrent à la joie de nos deux mariés.
Au nombre, on préféra la qualité.
Effectivement, Victor et Daniella, s’entourèrent de moins de cent convives, dans un restaurant privatisé pour l’occasion.
Mets et ambiance musicale de circonstance rythmèrent cette journée inoubliable
Enfin réunis, nos tourtereaux s’attachèrent à se loger et à se meubler.
Quelques années s’écoulèrent avant que Victor n’apprenne que son oncle cédait son fonds de commerce à Marseille. L’heure de la retraite sonnait.
Son foyer s’était agrandi et, et avec Daniella, ils avaient donné naissance à un premier garçon nommé Samuel.
Daniella de son côté avait terminé ses études d’optique et travaillait dans le centre de Paris.
Pour Victor, la tentation de reprendre l’affaire familiale dans la cité phocéenne était grande, mais peu compatible avec les aspirations de son épouse. Dommage.
Durant son enfance, le petit Samuel fut initié aux différentes coutumes et traditions, algériennes par son père et tunisiennes par sa mère. Il n’en tirera que le meilleur.

Epilogue
Qu’il est bon de se laisser bercer, de se laisser guider au fil de notre histoire vers un drôle de destin !

Gilles Amsalem Juin 2021


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